Perdre la mémoire, perdre la raison
Des deux côtés de l’Atlantique, se joue une guerre des mémoires. Donald Trump a demandé à l’armée américaine de supprimer de sa base de données des dizaines de milliers de photographies mettant en scènes des soldats racisés. En France, le souvenir de la guerre d’Algérie suscite – une fois de plus – des polémiques enflammées autour des exactions françaises que certains cherchent à cacher.
Nulle volonté de comparaison entre les deux cas, qui ressortissent de contextes différents, d’acteurs singuliers et d’actes spécifiques aux conséquences diversement dangereuses. Mais nul ne pourrait prétendre que l’histoire n’est pas un champ de bataille et que les néofascistes de tous les continents en font une arme pour contrôler les mémoires et infléchir le sens de l’aventure humaine au service de leur idéologie.
En France, Éric Zemmour, qui passe – à tort – pour un fin connaisseur de l’histoire, avait révélé son projet révisionniste en arguant de la nécessité d’imposer à toutes les têtes un « roman national ». Il avouait ainsi préférer la fiction nationaliste à la lente et méticuleuse discipline scientifique qu’est l’histoire des historiens. Cette conception du rôle du passé dans le présent est typiquement néofasciste, ses tenants cherchant à tordre la réalité et à ériger l’histoire de leur nation au rang d’épopée glorieuse exempte de toute tache, de toute faute, de tout crime. On ne s’étonnera donc pas de l’entendre réitérer des propos racistes et mensongers faisant de la colonisation une chance pour les Algériens.
C’est dans ce contexte que Jean-Michel Aphatie, qui affirmait sur RTL le 25 février dernier que la France avait « fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie », a été mis en retrait pendant une semaine par la station. Décision inexplicable tant les propos de Jean-Michel Aphatie sont confirmés scientifiquement. Celui-ci a finalement quitté RTL, jugeant qu’accepter la punition serait reconnaître une faute. C’est aussi à ce moment que France Télévisions a décidé de déprogrammer un documentaire sur les « enfumades », le gazage à l’arme chimique de civils algériens réfugiés dans des grottes. Censure ? Volonté de préserver l’extrême-droite ? Sentiment que les Français sont encore incapables de faire face aux horreurs perpétrées par la France au nom d’une prétendue « politique de civilisation » ? Ou simple volonté de pas ajouter de l’huile sur le feu dans un contexte tendu ? En tout cas, il semble qu’il y a des vérités et des faits qui ne sont pas au programme.
Aux États-Unis, quant à eux, la censure règne sans qu’on puisse en douter. Un quasi-autodafé vise près de cent mille photos. Ces images sont destinées à disparaître simplement parce qu’elles mettent en scène des militaires racisés ou, plus absurde encore, parce que le nom des militaires ne convient pas à la politique anti-inclusion de Donald Trump : c’est ainsi que l’image du B-29 Enola Gay, le bombardier qui a largué la première bombe atomique sur Hiroshima, s’est fait censurée parce que le mot « Gay » est inscrit sur la carlingue de l’avion.
L’absurdité de tout cela pourrait presque faire sourire, si cela ne montrait bien qu’il s’agit d’une guerre menée contre des personnes qui ne sont pas destinées à être visibles et pourront être... supprimables. Lorsqu’on censure le passé, c’est toujours pour transformer le présent. Lors qu’on supprime des faits, on les remplace par des fictions qui peuvent justifier l’injustifiable.
Commentaires
Enregistrer un commentaire