Le nouveau désordre mondial

Les différents événements – très commentés – qui ont secoué les relations internationales ces derniers jours, que ce soit la vive altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky dans le bureau ovale, le gel de l’aide militaire américaine à l’Ukraine qui a suivi ou la manière dont le président des États-Unis soutient Israël et voit l’avenir de Gaza, ne sont que les conséquences logiques d’une conception des relations interétatiques fondées sur le rapport de forces et, même, plus précisément, sur la violence.


Une nouvelle ère géopolitique commence-t-elle, qui conduirait à rebattre les cartes diplomatiques voire à changer les règles du jeu ?


L’incongruité des événements précités, la morgue de Donald Trump, son caractère fantasque et ses idées surréalistes (qu’on songe ne serait-ce qu’à celle de faire de Gaza une nouvelle Riviera) comme leurs conséquences cataclysmiques en termes de relations internationales (redéfinition des alliances, des conflits, de la désignation des adversaires et des ennemis, de rapports de forces...), ne doivent pas laisser place à la sidération, puisque les prises de positions étaient largement prévisibles et prévues.


Le style disruptif, le mépris des convenances diplomatiques et des règles internationales, comme le recours à des procédés douteux et des images de propagande générées par IA sont précisément destinés à créer de la sidération, à surprendre, choquer, tétaniser. C’est un « show pour la télé », mais pas seulement : il s’agit de marquer les esprits, de se montrer « révolutionnaire » car, oui, il existe bien des révolutions d’extrême droite. Le fascisme est même révolutionnaire par essence, disruptif et subversif par méthode. On trouve donc ici une façon de renverser la table avec fracas dont il faut à la fois tenir compte, parce qu’elle vise bien à tout renverser, mais dont il faut aussi se déprendre, car le geste est fait pour impressionner et empêcher la réaction, ce qui est le propre de la sidération.


Au contraire, pour voir clair et agir en conséquence, nous devrions regarder froidement les choses, et nous verrions alors qu’aucune des décisions prises n’est inattendue. En effet, que Donald Trump soutienne sans mesure Benjamin Netanyahu dans ses menées conquérantes et génocidaires ou propose un plan de paix favorable à Vladimir Poutine au détriment de l’Ukraine que ce dernier a agressée est en conformité avec toutes ses déclarations et prises de position avant même son entrée à la Maison blanche.


En réalité, les présidents des États-Unis, d’Israël et la Fédération de Russie, se comprennent, s’entendent, se respectent dans la mesure où ils jouent le même jeu, avec les mêmes cartes, selon le même mépris des règles que les 193 États que compte l’ONU ont patiemment bâties depuis 1945 pour assurer un « ordre international », un droit humanitaire commun, une « civilisation » des conflits. Ils sont faits du même bois insensible à autre chose que leurs intérêts personnels, ils appartiennent au même camp, celui du mépris des règles, du culte de la violence, cette force non-pacifiée par les règles du droit.


Une nouvelle ère géopolitique commence donc bien, avec de nouvelles alliances, de nouveaux ennemis, où les alliés d’hier sont devenus des rivaux, en témoignent les votes des résolutions du lundi 24 février dernier à l’ONU. 

 

Mais il ne faut aller trop vite en besogne, les nouveaux alliés d’aujourd’hui seront-ils les alliés de demain ? Rien n’est moins sûr.


D’abord, que s’est-il passé ce lundi 24 février à l’ONU ? Une première résolution préparée par l’Ukraine et ses alliés européens a été adoptée à l’Assemblée par 93 voix pour, 18 contre, et 65 abstentions, sur 193 États membres. Tandis qu’une seconde, présentée par les États-Unis, réclamant la fin rapide du conflit sans référence à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, largement modifiée par plusieurs amendements de pays européens incriminant la Russie, a été adoptée par 93 voix pour, 8 contre et 73 abstentions. Mais, ce texte a été ensuite soumis, sans les amendements, au vote du Conseil de sécurité de l’ONU où il l’a emporté avec 10 voix pour et aucune contre. Les cinq pays européens (Royaume-Uni, France, Slovénie, Grèce, Danemark) s’étant abstenus, y compris la France et le Royaume-Uni, qui auraient pu choisir de bloquer l’adoption en utilisant leur veto.


Les dix pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU ayant voté pour ce texte sont les États-Unis, la Russie, la Chine, la Corée du Sud, l’Algérie, le Guyana, le Soudan, le Pakistan, le Panama et la Sierra Leone. Faut-il en conclure qu’il s’agit là d’un renversement considérable de l’ordre international ? Oui et non. Oui car l’OTAN est morte, probablement de façon définitive. Non, car si les États-Unis se retrouvent sur la guerre en Ukraine aux côtés de la Fédération de Russie, c’est uniquement pour en raison d’intérêts économiques et idéologiques communs. Lorsque leurs intérêts divergeront, ils cesseront d’être alliés. Et que dire de la Chine, du Pakistan ou encore de l’Algérie ?


Mais pour conclure, n’oublions pas que les semeurs de désordre n’ont pas encore gagné, que Trump ne séduit pas les masses dans les pays dits – un peu trop rapidement – du « Sud global » avec son projet réactionnaire, anti-immigration, anti-féministe, anti-woke, anti-minorités… Le pire des pièges dans lequel nous pourrions tomber, serait de faire des comportements, actes ou paroles, de certains – fussent-ils parmi les plus puissants du monde –, les nouvelles règles du jeu international. Entre la realpolitik et les principes moraux il n’y a pas à choisir, il faut composer.

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